Le GR5 est le sentier de randonnée qui traverse les Alpes du Nord au sud. Au départ de Thonon, plus précisémment des bords du Lac Léman, il est possible de rejoindre Nice en passant par les plus beaux massifs des Alpes, les plus beaux cols. Pour le commun des mortels, il faut 45 à 60 jours de marche pour faire les 550 kilomètres qui séparent les contreforts du Jura pour rejoindre les bords de la méditerranée. Pas pour Seb Raichon, un raideur aventurier qui a fait le pari de faire le GR5 en 6 petits jours, tout seul, sans assistance avec son sac et son baluchon ! Cette histoire, c’est la sienne, postée sur sa page facebook. Enjoy !
Je vais vous spoiler la fin : il aura mis 150h27mn soit 6 jours et 6 heures pour faire les 620km et encaisser les 34000 mètres de dénivelé positif. C’est parti pour l’histoire de Sébastien Raichon : son objectif à la fois sportif et humain est de montrer qu’on peut s’approcher d’une taxe carbone proche de zéro pour les plus belles aventures comme celle ci !
C’est le bilan comptable record sur ce Gr5 autonome. Une moyenne de 100km par jour que je ne pensais pas possible avec mon sac de 4kgs. Retour en détail de mon immense épopée marquée par les conditions météorologiques difficiles et les rencontres fortuites.
Lundi 26 juillet, départ du GR5
J’arrive sur Thonon les bains avec mon BlaBlaCar vers 14h, je me sens bien, la fenêtre météo semble correcte et je décide d’annuler mon hôtel et de partir dans la foulée à 15h. Je préviens Mickael Blanchard qui s’occupe du live. L’improvisation commence déjà !Je me dirige donc vers les balcons du Léman avec un début roulant pour se mettre en jambe. Rapidement David Bardaud, en vacances par ici me rejoint et m’accompagne 1h ou 2. Moment très sympa, je sens du monde derrière moi qui me soutient dans mon projet et surtout dans ma démarche. J’aperçois aussi dans un hameau un couple avec un appareil photo et un panneau d’encouragement accroché à un poteau !!! Mon départ décalé de 10h par rapport à l’an passé va me permettre de voir de jour des parties faites de nuit. Les Bouquetins sont bien présents sous les cols de Pavis et Bise. Un grand solitaire sur une crête à coté de moi m’observe. C’est comme s’il était là aussi à m’attendre et m’encourager. Je sens sa force et sa sérénité. Je m’en empare… Le temps orageux me fait énormément transpirer et je bois autant que je peux. J’atteins La chapelle d’Abondance avant la nuit sans m’arrêter. Cette première nuit se passe bien, je prends un bon rythme dans le passage roulant en Suisse. Je suis à Samoëns vers 5h et décide d’aller me reposer plus haut au hameau des Fardeleys comme l’an passé dans une cabane disposant d’un sommier. J’y suis venu il y a 2 semaines en famille rando Anes et j’y ai laissé un petit sac de ravitaillement. Hélas, une souris a tout dévoré, elle est encore là et me nargue en finissant ma dernière tortilla. Mon régime minceur commence…J’ai 1h d’avance par rapport à l’an passé, ce qui correspond à mon sac allégé de 2kg.
Mardi 27 juillet
Je repars à 9h du matin en direction des Fiz et d’Anterne. J’adore ce lieu. Après le col d’Anterne, j’aperçois au loin le Brevent devant le Mont Blanc. J’attaque cette difficile ascension sous une grande chaleur humide. J’ai chaud, trop chaud et je n’arrive plus à m’alimenter. Je ralentis et observe malgré tout la vue sublime sur le massif. La neige est moins présente que l’an passé et je passe bien l’obstacle.
Par contre c’est la mauvaise heure et il y a beaucoup de monde sur les sentiers très techniques pour rejoindre les Houches. Je slalome et me languis de me retrouver plus isolé. J’ai fait plus de 110km sur les 1ères 24h. J’attaque ensuite une partie désagréable avec le monotone et raide col de Voza et la longue portion inintéressante vers les Contamines. J’ai posté un colis de ravitaillement et de change au camping Le Pontet où je suis accueilli avec chaleur. Ça fait du bien. Une bonne douche, un bon repas, une heure de sommeil et je repars. Merci les gars ! Mais la pluie est présente en ce début de 2ème nuit pour m’accompagner vers le col de Bonhomme. Il reste beaucoup de neige mais ça passe bien. Entre le col et la Croix, un bloc rocheux dévale juste devant moi, oups ! La crête des Gites offre de nuit une ambiance aérienne qui m’oblige à ralentir surtout avec la pluie.
Mercredi 28 juillet
La suite est moins glorieuse. Je dors debout et le col Bresson me semble perché à 5000m, la descente suivante est poussive, je profite d’une ferme pour faire une sieste de 10mn à l’abris. Je prends soin de mes pieds avec crème et massage. Je rejoins Bellentre puis Landry. C’est maintenant des sceaux d’eau que je prends sur la tête. Je fais un stop à Peisey Nancroix, le moral dans mes chaussettes trempées… Je fais un point météo, heureusement le soleil doit revenir ! Je repars donc avec espoir, plus loin à l’approche du parc National de la Vanoise, des amis du club de passage ici pour une course d’orientation m’attendent. C’est une belle surprise qui va me relancer, Fred, Jérome, Pascale, Laurent, Olivier m’accompagnent 2h. Ca fait du bien d’arrêter les monologues ! Je franchis le beau col du Palet et me pose à Tignes dans une guinguette pour un bon repas et une sieste d’1h. Il est 15h et j’ai fait 216km en 48h malgré les conditions. A mon réveil, Sébastien Sxay qui habite Tignes est là. Echange sympa. Il me dit que sa cousine tient le refuge de Valonbrun et qu’il va la contacter pour que j’y dorme au chaud. Je repars à vive allure le moral au beau fixe. Je passe beaucoup mieux le col de l’Iseran que l’an passé et encore mieux le magnifique passage des Roches pour rejoindre Bessans. Pas de neige cette année et des passerelles en place qui m’évite de traverser les torrents. Je rate un sentier et perd 10mn, ma première erreur ce n’est pas grave. Je remonte de nuit vers le refuge que j’atteins vers 23h. Un gentil petit mot, un repas et un bon matelas m’attendent. Je suis aux anges. Merci Julie du Refuge Valonbrun, merci Sébastien !
Jeudi 29 juillet
Je suis en forme et bien décidé à avaler les kms dans ce magnifique parc de la Vanoise. Le lever du jour me permet d’apprécier le décor grandiose avant le refuge du plan du lac. J’enchaine jusqu’au refuge de l’Arpont après avoir croiser des bouquetins sous les glaciers. Je mange avec appétit au refuge. Je suis en forme. J’atteins Modane vers 15h. 310 km en 72h. Déjà 9h d’avance par rapport à l’an passé. Je retrouve Marco après Val Fréjus qui randonne par ici, il m’accompagne jusqu’au col de la vallée étroite. Encore un bon moment de partage avec un de mes premiers coéquipiers de raid. Dans la descente du col, je dérange un troupeau d’une trentaine de chamois. Je suis dans les mêmes temps que l’an passé maintenant et j’ai mes repères. Du coup j’anticipe ma nuit à Pamplinet et téléphone au gite d’étape pour réserver un lit. En arrivant vers 22H30 j’ai même la possibilité de manger un plat chaud. Parfait le timing. Je dors 3h.
Vendredi 30 juillet
A mon réveil, l’orage gronde dehors. J’hésite mais me met en route tout de même. Je parle à mon étoile (mon papa) et lui demande de souffler très fort pour pousser l’orage devant moi. C’est un feu d’artifice au col de Dourmillouse, mais pas tout à fait sur moi ! Je peux continuer et trouve une boulangerie ouverte à Montgenevre à 5h. L’orage est de retour pour mon trajet descendant vers Briançon. Un nouveau petit déjeuner et je repars sous des trombes d’eau en direction du Queyras car de toute façon cela semble être au programme de toute la journée selon les prévisions. Finalement mon étoile repousse l’orage et j’atteins le col des Ayes sous le soleil ! Je fais ma pause restaurant à Brunissard et comme à chaque arrêt, je prends soin de mes pieds où des premières ampoules dans les chaussures apparaissent. J’atteins Chateau Queyras puis 406 kms au 4ème jour dans l’ascension difficile et chaude du col fromage. Petit ravitaillement à Ceillac. Le col Girardin s’offre à moi. Celui-là je l’adore, un jeune trailer qui m’a reconnu m’accompagne un bref instant avant que la pluie ne fasse son retour au niveau du sublime lac St Anne. Je bascule du coup assez vite dans la vallée de L’Ubaye ou doit m’attendre Xavier Mathurin avec mon 2ème colis de ravitaillement change. La descente très raide mais à mal mes pieds… Mais je le retrouve avec toute sa famille pour un moment fort conviviale. Ils m’ont trouvé une maison abandonnée avec un vieux matelas au niveau de Fouillouse ou je vais pouvoir dormir 3h de nouveau.
Samedi 31 juillet
Je passe le col de Mallemort de nuit avant la descente vers Larche et je poursuis vers le Lauzanier. Je grimpe le pas de la Cavale à bonne allure et atteint Bousieyas vers 10h. Je veux m’alimenter mais le service du restaurant n’est pas encore ouvert. Du coup je prolonge jusqu’à St Dalmas mais à 12h30, le seul restaurant est complet… Je poursuis donc en mode lipolyse vers St Etienne de tinée mais à 15h30 les services de tous les restaurants sont terminés !!!! Je perds du temps à faire le tour de la ville et je ne trouve rien… si ce n’est des mauvais sandwichs dans une échoppe. C’est la limite de mon mode sans assistant ! Je mange trop vite et m’allonge en mode pls quelques minutes avec la tête qui tourne. Rien ne va plus, les orages grondent de partout, le ciel est noir. Je termine mon 5ème jour avec 502kms, c’est la seule bonne nouvelle. De nouveau sous la pluie, je me remets en route vers Auron où je fais de grosses courses bien lourdes pour tenir la nuit dans le parc du Mercantour. Je me demande si je vais pouvoir passer car le col est exposé. Je décide d’aller au moins jusqu’à la cabane du berger. Les patous m’accueillent gentiment, l’averse de grêle moins… J’observe le ciel, le col est dans les nuages mais cela ne gronde plus. Il est bientôt 20h et j’ai 1h30 de jour devant moi. Je décide d’y aller, je pars à fond, courant même dans les montées légères, de temps en temps des éclairs d’altitude me redonne un coup de fouet. Je suis au taquet, je franchis le col de Crousette dans le brouillard épais, la nuit tombe vite et je suis en crête longtemps pour atteindre le Mounier. Je descends vite également mais avec la frontale je ne vois rien, sans de moins en moins. Je finis par perdre le sentier. Une seule solution, sortir le téléphone et ouvrir la trace GPS. J’arrive au bout de 5mn à retrouver la trace et quelques minutes plus tard je sors du brouillard ! C’est gagné. Je poursuis plus sereinement la descente jusqu’à me retrouver à côté d’un troupeau de brebis, les patous foncent sur moi, je me stoppe, m’éclaire, leur parle tranquillement… Le berger alerté finit par venir à ma rescousse et je peux poursuivre vers le refuge Longon où je souhaite dormir. Peu après sur ma gauche à 20m deux yeux brillants, je tourne la tête, un loup est là à m’observer. On se regarde 2-3 secondes, il se tourne et s’en va tranquillement. Moment de grâce absolue, ma récompense d’avoir osé passer malgré le temps ? Genre c’est bien mon gars, tu peux aller à Nice maintenant. Je suis sur mon nuage, 500m plus loin, le refuge est fermé pour cause de travaux, impossible d’y entrer. Je me résous à poursuivre vers la vallée. Je mets la musique à fond pour rester alerte. A Roure, le gite municipal est ouvert. J’entre, prend une douche et me couche 3h dans une chambre libre (j’ai réglé mes 15euros depuis ). Cette dernière nuit à jamais gravé dans ma mémoire…
Dimanche 1er aout
Je repars vers 5h du matin. J’appréhende un peu les 77 derniers kms avec la chaleur et les mauvais souvenirs de l’an passé. La chance me sourit de nouveau puisque la boulangerie est déjà ouverte à St Sauveur sur Tinée. Viennoiseries chaudes à volonté. Je gère dès ce début car mes pieds me font souffrir. Je prends un café à St Dalmas avant une longue traversée plein sud vers Nice. Un glissement de terrain m’ajoute kms et dénivelé en plus mais je reste serein et j’aperçois la mer au loin. Les granges de la Barque n’offrent plus de restauration et je dois me contenter de l’eau fraiche de la source. La chaleur devient importante à l’approche du Brec d’Utelle. Les sentiers en balcon sont extraordinaires. La mer bleue au loin puis un mec en bleu devant moi, c’est dominique Chambeyron ! Un pote du Vaucluse. Il propose de m’accompagner, un plaisir de partage de plus. Peu après, je vois ma petite Lou de 10 ans et Chrys mon amoureuse sur un autre sentier au loin. L’émotion est à son comble, on court les uns vers les autres, on s’embrasse… je pleure. Je descends vers Utelle accompagné et me restaure un moment. Chrys , Lou et Dominique sont venus m’offrir une arrivée digne de ce nom. Pas de blalacar cette année pour rentrer. Ma taxe carbone ne sera pas nulle mais ça me va bien comme ça.La chaleur devient bien forte mais je vais doucement, je gère, je ne ferai pas de coup de chaud cette année. Levans, Aspremont. Reste le mont chauve avant Nice. Le terrain sur ce dernier est horrible pour les pieds abimés. Puis une descente raide sur route vers la maison de l’environnement, terme de ce GR5 que j’atteins à 21H27 après 150h27mn. Les cloches et drapeaux de prière népalais sont là pour moi. C’est magique. Je bats le record de plus de 10H sans assistance avec un sac de 4kgs et les pertes de temps que cela occasionne, c’est fou complètement fou, je ne réalise pas.Notre corps humain est extraordinaire, 5mn après l’arrivée, je n’arrive plus à marcher… J’ai encore exploré mes limites et sans doute réussit à les dépasser. Mon mental, ma façon d’aborder les obstacles, la confiance que j’ai en la vie et en mon destin sont sans doute les raisons de ma réussite. Sans assistance, c’est forcément parfois plus compliqué notamment pour s’alimenter, mais l’incertitude qu’elle induit permet l’improvisation, l’adaptation en fonction des sensations du moment. Elle permet les rencontres et apporte beaucoup de joie. Cette année, des amis chers ont eu des problèmes de santé importants, les empêchant dorénavant de vivre encore leur passion comme moi. J’y ai pensé souvent. Un autre Max, s’est retrouvé tétraplégique à la suite d’une maladie subite neurologique. Je traverse les Alpes quand lui réapprend à marcher ! On a été en contact cette semaine, il m’a conseillé de vivre l’instant présent pleinement puis m’a envoyé une vidéo de ses premiers pas assistés. j’ai pleuré, j’ai chassé mes douleurs et j’ai accéléré…